L’effet Matilda, ou comment les femmes de science se font piquer leurs travaux

Je ne ressemble pas à une scientifique ? Grossière erreur !

 

 

Hello les pioupious,

 

Vous vous rappelez, la semaine dernière je vous ai raconté comment je suis devenue féministe en travaillant pour la place des femmes en science.

Déjà à l’école primaire, les enfants intègrent que la science n’est pas un métier de femmes mais d’hommes. Je vais vous dire un truc idiot. J’ai commencé à travailler dans un laboratoire il y a trois ans, pas plus, et avant j’exerçais dans un tout autre secteur. Le premier truc qui m’a frappée, c’est que c’était plein de jeunes là-dedans ! Et qu’il y avait des jeunes femmes. Hé oui. Je n’ai pas réalisé à l’époque mais j’avais intégré le cliché total : pour moi le scientifique est un homme de 60 ans un peu foufou qui répond à côté de la plaque quand on lui parle du quotidien, parce qu’il a le cerveau dans de hautes sphères (alors, par honnêteté, on en a un ou deux comme ça, mais c’est loin d’être représentatif…).

Quand on a commencé notre projet sur la place des femmes, le premier pas, c’était collecter des statistiques. Parce que, paraît-il, en sciences on aime bien mesurer des trucs et trouver des solutions. Les chiffres étaient clairs et nets : dès les premières années d’étude à l’université, il n’y avait même pas 30% de femmes dans notre filière. Elles n’ont pas des difficultés à être recrutées au labo : elles n’arrivent pas assez nombreuses pour qu’on puisse espérer atteindre une quelconque parité, alors que jusqu’au baccalauréat on trouve pourtant dans les filières scientifiques une quasi parité filles/garçons (48%/52%).

La science souffre d’une image vieillotte et pas très attractive, en particulier les sciences dures comme les maths ou la physique. Les maths sont réputés « trop compliqués », la physique « trop théorique », les labos « trop masculins », et c’est très difficile pour une lycéenne de se projeter dans un métier quand on n’a que des exemples d’hommes sous les yeux.

J’ai un jour assisté à un colloque où un chercheur a commencé sa présentation de la façon suivante, qui m’a bien plue :

Le scientifique regarde dans l’univers et se demande pourquoi il ne voit que de la matière et pas d’antimatière. Où est passé l’antimatière ? C’est l’une des questions les plus prestigieuses dans le domaine de la science et qui fait l’objet de recherches approfondies.

Le scientifique regarde dans la salle de classe ou le laboratoire, et note qu’il ne voit que des hommes et pas de femmes. Où sont passées les femmes ? C’est souvent une question qui n’est même pas posée…

 

Ne te retourne pas trop vite Marty, je crois qu’une femme essaie de faire de la science derrière toi….

 

Le déni ou la minimisation du travail des femmes scientifiques porte un nom : on parle de « l’effet Matilda », en mémoire à une militante des droits des femmes américaine, Matilda Joslyn Gage, qui a remarqué que des hommes s’attribuaient les travaux intellectuels des femmes.

Un des exemples les plus flagrants en est le cas de Rosalind Franklin. Elle a été réalisé le cliché 51, la première photographie de l’ADN. A son insu, le cliché est montré par son collègue de laboratoire à James Watson et Francis Crick, qui obtiennent le prix Nobel de médecine 1962. En 1958, Rosalind Franklin meurt prématurément d’un cancer provoqué par ses recherches. Le prix Nobel n’étant jamais attribué à titre posthume, elle n’a pas été associée à l’une des découvertes les plus fondamentales du XXe siècle, même si à présent elle est reconnue comme la chercheuse qui a réellement réalisé la découverte.

Un cas bien de chez nous :  Marthe Gautier, médecin, qui a découvert un chromosome surnuméraire : 47 au lieu de 46, c’est la trisomie 21. Ce sera Jérôme Lejeune, alors stagiaire du CNRS, qui s’attribuera la paternité de cette découverte. En 1958, il présente les clichés pris au laboratoire lors d’un séminaire de génétique au Canada sans parler du fait que c’est Marthe Gautier qui a fait le boulot, publiera la découverte en tant que premier auteur, et fera une carrière fulgurante avec le prix Kennedy en 1962.

 

Désolée Jocelyn il va falloir attendre 51 ans pour recevoir un grand prix pour ta découverte… 

 

Jocelyn Bell-Burn, astrophysicienne, a découvert les premiers pulsars. C’est son directeur de thèse, Anthony Hewish, qui se verra décerner le prix Nobel de physique en 1974. Mais elle a eu sa revanche : 51 ans après ses observations novatrices, elle se voit aujourd’hui récompensée d’un Breakthrough Prize en physique fondamentale avec une dotation de 3 millions de dollars. Le comité ne salue pas uniquement son travail en matière de « détection des signaux radio émanant d’étoiles à neutrons super denses » mais aussi la « source d’inspiration majeure » qu’elle a été sur le plan scientifique. Elle a décidé de faire don de sa dotation  à une association caritative du Royaume-Uni dont la mission consiste à venir en aide aux étudiants diplômés en physique issus de minorités.

Une de mes préférées : Hedy Lamarr, actrice très renommée de l’âge d’or hollywoodien dite « la plus belle femme du monde », a conçu en 1941 un système de codage des transmissions, le « saut de fréquence » pour aider les militaires à cacher leurs communications à l’ennemi. On lui rit au nez, la greluche, qu’elle retourne montrer ses fesses à l’écran, hein, l’armée c’est un truc sérieux, va donc lever des fonds en dansant avec les soldats tu seras plus utile à l’effort de guerre  (elle le fera). Finalement on se rendra compte que ma foi ça n’est pas si idiot que ça, cette technologie…  qui aboutira au GPS, et bien plus tard au Wifi. Merci Hedy ! (je ferai sûrement un article sur elle plus tard tellement son histoire est folle).

Au total, seules 48 femmes ont reçu le prix Nobel depuis la création en 1901 de l’honorifique distinction. Cela correspond à 3% des lauréats. Dans les sciences, comme dans les distinctions en général, les femmes ont encore une place à se faire.

Il y a heureusement des choses qui bougent, des actions mises en place pour sensibiliser le public, des directions qui mettent les femmes en avant, des chercheuses qui ont de l’ambition. Et c’est indispensable parce que oui, les femmes ont réussi à entrer dans le monde scientifique, mais les chiffres stagnent depuis un bon moment. Sans coup de pouce, sans actions, on n’y arrivera pas, à la parité, et c’est trop bête de perdre la moitié des cerveaux de l’humanité juste parce qu’ils ne sont pas du « bon » genre.

Je vous laisse, j’ai un institut à aller secouer un petit coup, moi.

 

Cordialement, bisous.

 

 

Pour aller plus loin :

Jocelyn Bell Burnell enfin récompensée pour l’extraordinaire découverte des pulsars

Un article du Monde sur Hedy Lamarr, actrice et inventrice oubliée

L’article publié 50 ans après la découverte de la trisomie 21 où Marthe Gautier raconte son travail et l’usurpation qui en a été faite par Jerôme Lejeune.

J’en profite pour vous recommander à nouveau l’émission radio « Les Savantes » de Lauren Bastide

France Culture a consacré un dossier à « L’effet Matilda ou les oubliées de la science », l’occasion d’en apprendre plus sur des chercheuses qui en ont été victime et dont vous n’avez (logiquement) jamais entendu parler alors qu’elles ont révolutionné leur domaine.

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