Chères lectrices et lecteurs, ô mon public,
J’ai passé le week-end à fulminer de rage après les César et la remise de prix de la meilleure réalisation à Roman Polanski, dont je vous avais dit mes raisons de boycotter les films et de réclamer qu’on arrête de le glorifier. Franchement, sans lumbago, je serais allée hurler des insultes devant la salle Pleyel à m’en faire péter les cordes vocales (quand je pense que j’ai dit une jour lointain à mon amie Juliette que je ne comprenais pas les « militants hargneux qui vont crier des insultes aux gens en public »… *va se noyer dans sa honte*).
Je vais être honnête : j’ai pris une énorme claque. Je pensais que ça n’arriverait pas. C’était l’extase publique après le témoignage d’Adèle Haenel, le cinéma français avait son Me Too, enfin… tout ça pour porter aux nues, encore une fois, un violeur dont tout le monde connaît pertinemment les énormes casseroles. Les bras m’en sont tombés. Voire, moi qui suis d’une gaieté indéfectible, j’ai salement déprimé. Je me suis dit d’abord qu’ils n’avaient vraiment rien compris. Puis, pire encore, qu’ils avaient parfaitement compris. Ce vote massif, c’était leur façon de clamer qu’à leurs yeux deux heures de divertissement valent plus que les souffrances infligées. Ce que j’ai entendu, c’est : « Taisez-vous et laissez-nous tranquilles, les connasses, on veut continuer comme avant et on s’en fout de vos histoires ».
Heureusement, il y a quand même des femmes qui sont venues illuminer mon week-end, et un grand optimisme qui m’est revenu, voire une sensation de triomphe féroce. A ces femmes, d’abord, un énorme bravo merci, à ces trois-là et toutes celles qui luttent derrière elles.
Aïssa Maïga, qui a utilisé son temps de parole pour dénoncer le manque de diversité dans le cinéma français, et réclamer à toutes les personnes présentes dans la salle de se bouger sur ce sujet. Si vous trouvez qu’elle n’est pas drôle ou que son discours a mis un froid, bravo, vous avez tout compris : elle a jeté un énorme pavé de gêne dans l’entre-soi raciste du cinéma français, et oui, ça n’est pas drôle et ça fait mal. Les injonctions à être mignonne et amusante ne sont qu’une façon de plus d’essayer de la réduire au silence.
Adèle Haenel, qui a quitté la salle en clamant que remettre ce prix à Roman Polanski était une honte, suivie par d’autres personnes, trop peu hélas à mon goût. Merci d’avoir osé claquer la porte et ne pas être restée assise sagement à ta place. Merci d’être sortie la tête haute, bouillante d’une indignation tellement légitime, d’avoir été cette jeune femme en feu. Et ceux qui trouvent qu’elle n’avait pas à faire ça, que c’était déplacé, « pas correct », je vais vous dire : estimez-vous déjà heureux qu’elle n’ait pas sorti un cocktail Molotov de son sac de soirée pour le balancer dans la salle. A sa place j’aurais eu envie de tout cramer.
Virginie Despentes, enfin, qui a publié dimanche soir la tribune «Désormais on se lève et on se barre». Un texte en vrac qui traduit bien la colère légitime et le ras-le-bol de beaucoup, avec des choses à discuter mais sur le coup elle m’a mis à la fois du baume et le feu au cœur en concluant : «Vous êtes une bande d’imbéciles funestes. Le monde que vous avez créé pour régner dessus comme des minables est irrespirable. On se lève et on se casse. C’est terminé. On se lève. On se casse. On gueule. On vous emmerde.»
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A présent, je suis toujours en colère, et en même temps, je ne peux m’empêcher de me dire que même si la route sera encore longue, on a déjà gagné. Le monde est en train de changer, très vite, trop vite pour certains. Parfois je me demande si c’est moi qui suis biaisée quand j’entends toutes ces voix si fortes qui protestent, beaucoup plus qu’avant. Mais non. Ça n’est pas juste moi. Le fait que tous les médias et réseaux sociaux en parlent est révélateur. Cette parole des femmes est bien présente. Et elle est en train de submerger toute la société, que ça plaise ou non.
Vous savez ce que c’est, ce gros doigt d’honneur qu’on nous a fait avec la nomination de Polanski ? C’est un baroud d’honneur, sans honneur aucun. La preuve que nous sommes sur le bon chemin. Ces gens qui refusent de changer ne nieraient pas notre légitimité, ne chercheraient pas à nous réduire au silence s’ils n’avaient rien à craindre. Ils sont dans la position d’un animal acculé au pied du mur. Ils veulent protéger mordicus leur droit à discriminer, agresser, voire violer ou tuer, parce qu’ils savent au fond que la confortable impunité avec laquelle ils ont toujours agi n’est plus tolérée, que ça ne durera plus. Ils ont récompensé Polanski une dernière fois, parce que l’an prochain l’Académie des César sera réformée, et son nouveau fonctionnement ne laissera probablement plus la possibilité de merder à ce point.
La mauvaise nouvelle, c’est qu’on va encore en manger, de la bêtise crasse et de la résistance. Le fameux backlash ou retour de bâton. Certains se battront jusqu’à leur mort pour ne pas changer d’un iota leur façon de vivre, même si elle écrase les autres dont ils se contrefoutent. Ils vont en baver, et nous en faire baver.
La bonne nouvelle, c’est qu’ils vont disparaître du paysage. Contraints et forcés par l’opinion publique, ils feront de moins en moins de bruit. Ils sont les dinosaures d’un vieux monde qui refuse de voir que les temps changent. Ils se prennent la météorite de l’égalité sur le coin de la figure, et s’éteindront faute d’avoir su évoluer dans une société en pleine mutation. Ça me ferait presque de la peine pour eux (ou pas), parce qu’ils vont rater le virage et ne jamais connaître des relations plus apaisées, plus sereines, plus riches avec les femmes. Ils continueront à vouloir les écraser sans réaliser ce qu’ils ratent. Tant pis pour eux.
Nous, on sera encore là. Je place beaucoup d’espoir en nous, et aussi et surtout dans les plus jeunes. On aura déblayé le terrain, ils vont construire encore mieux. Ce qui se passe maintenant leur paraîtra aberrant : « Mais c’était pas si loin, comme ça a pu être possible? ». Nos gosses, on pourra leur dire : « On s’est battues jusqu’à ce que ça ne le soit plus. » On en parlera avec fierté, une fierté justifiée parce qu’il faut le vouloir et que ça coûte, et cher, de se battre pour faire bouger une société entière.
C’est une certitude que j’ai. On va continuer à se battre. On ne se taira pas. Il y aura de la colère et de la violence puisque vous ne voulez rien entendre. A tous ceux qui nous trouvent trop agressives, trop militantes, trop dures, trop acharnées, pas assez douces, pas assez pédagogues, pas assez gentilles, j’ai envie de dire : allez vous faire foutre.
En réalité vous n’aimez et ne respectez pas les femmes, vous aimez les plantes vertes. Allez donc à la jardinerie. Achetez-vous des saloperies de potiches. Flanquez-y du formol et mettez dedans ce monde que vous voulez absolument conserver dans son indignité, mais ce sera sans nous.
Nous, on se lève et on se casse. On va s’en créer un autre, de monde. Et il sera bien plus beau que le vôtre.
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Votre Simone,
pleine d’optimisme
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