Salut les pioupious,
Malgré vos appréciations qui m’ont fait bien plaisir sur ma nouvelle, j’ai quand même noté que pas un seul n’avait pu me citer 10 femmes peintres, ni même 5, et qu’on a plafonné à 2 idées d’après les commentaires. Je ne vous jetterai pas la pierre, la première fois qu’on m’a posé la question, j’en suis restée gros jean comme devant.
Je vous recommande de lire en plusieurs fois, c’est un article assez long, vu que j’ai décidé de nous culturer en parlant de dames qui ont exercé cet art et qui ont été reconnues, ce qui n’arrivait pas souvent.
Oui, parce que soyons sérieux, la peinture c’est une affaire importante, on allait quand même pas laisser ça aux bobonnes hein !?
Et pourtant, les Grecs, ces gros misogynes ambulants, attribuent la première idée de la peinture à une femme ! Qui l’eût cru ?
Callirrhoé de Sicyone
Callirrhoé, sérieux si j’ai une fille je l’appelle comme ça, sa vie sera ruinée depuis le début et on en parle plus…
D’après Pline l’Ancien, elle aurait utilisé du charbon de bois sur un mur pour dessiner le profil de son amant qui partait, en suivant l’ombre projetée par la lumière d’une torche. ET PAF invention de la première image réaliste !
Son père, Boutadès, applique de l’argile sur ces mêmes traits en observant leurs contours, et fait cuire ce profil de terre : ET PAF voilà l’origine de la sculpture en relief.
Ca vaut à ces petits malins de se retrouver bien plus tard au château de Versailles, dans le tableau « L’origine de la peinture« .
Après, ça se gâte pour les donzelles. Gros passage à vide. Antiquité pas grand chose. Moyen-Age zéro. Il faut attendre la Renaissance pour en trouver une dont le nom me met également en joie.
Sofonisba Anguissola (1535 – 1625)
Sofonisba krr krr krr je… Rho ça va hein si on peut plus se marrer avec les prénoms rigolos !
Sofonisba vient d’une famille de petite noblesse italienne, et son père a le bon goût d’encourager ses 6 filles et son fils à tous développer leur talent. Il faut croire que la petite Sofonisba, traînée d’atelier en atelier par son très cultivé paternel, s’en sort pas trop mal niveau peinture. Quand elle a 20 ans, elle est citée dans « Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes » par Vasari, même si c’est uniquement parce qu’un gugusse soutient qu’elle a un sacré talent (le gugusse, c’était Michel-Ange).
4 ans plus tard, elle part en Espagne pour le mariage du roi avec Isabelle de Valois, dont elle devient dame d’honneur et à laquelle elle enseigne le dessin. C’est sûr que dame d’honneur c’est plus chic que prof d’art plastique mais… problème : comme elle est noble, dame d’honneur, et pas peintre de Cour, elle n’a pas le droit de signer et de vendre ses tableaux. Ça explique en partie pourquoi on l’a largement oubliée.
Avec moultes aventures dont 2 mariages, le second la faisant retourner en Italie, elle continue à peindre pas mal et ne s’arrêtera que quand elle perdra peu à peu la vue. Ses œuvres sont considérées comme largement égales à celles de ses contemporains, mais avec une grosse différence de statut : Sofonisba pratique son art comme une activité noble et ne travaille pas à la commande comme les autres peintres. Elle n’est pas payée avec des contrats, mais reçoit protection, rentes, avantages et cadeaux (dont ses maris et son frère toucheront les parties sonnantes et trébuchantes parce qu’il faut quand même pas déconner).
Si vous voulez en savoir plus sur sa vie et ses œuvres, ça se passe par là.
Artemisia Gentilleschi (1593 – 1642 )
Nan je dirai rien sur le prénom Artemisia, d’abord ça m’inspire pas et ensuite Artemisia, vaut mieux pas la chercher, vous allez comprendre pourquoi…
Artemisia naît dans la peinture, elle est l’aînée du peintre Orazio Gentileschi, qui reconnaît vite son talent bien supérieur à celui de ses frères. Il la forme et l’encourage, et comme elle ne peut pas accéder à l’école des Beaux-Arts, réservée aux hommes (ciel, faire dessiner des hommes nus à des drôlesses, horreur!), il embauche son ami le peintre Agostino Tassi comme précepteur privé.
Très très trèèèèès mauvaise idée : Tassi en profite pour violer Artemisia. Il s’avérera aussi qu’il avait projeté d’assassiner son épouse, commis un inceste avec sa belle-sœur, et voulu voler certaines peintures d’Orazio. Une homme charmant. Le pompon c’est qu’Artemisia se retrouve à subir un procès ultra-humiliant, on la torture même un peu au passage histoire de vérifier qu’elle a bien été violée et qu’elle ne s’en vante pas pour se faire épouser. Il écopera d’un an de prison, le fripon (oui bon ça vaaaa c’est pas si grave).
Artemisia a donc été violentée, abusée et dénigrée, et se ramasse le scandale de plein fouet. Son père lui trouve un mari pour lui permettre de reprendre sa place dans la société, mais ça laisse des traces. Ce drame va avoir un effet inattendu sur sa carrière : on lui demandera souvent de peindre des héroïnes énergiques, voire vengeresses, un peu à sa ressemblance (voir le tableau ci-dessous, dans la catégorie demoiselle en détresse on repassera).
Remarquablement douée, elle se fait une réputation d’enfer, attire la protection des grands, et exerce une carrière prolifique à Venise, Naples et Londres. Elle fascine par son talent, son caractère bien trempé, sa carrière triomphante, mais restera à vie la cible de quolibets et d’allusions douteuses. Elle est aujourd’hui considérée comme l’un des premiers peintres baroques, l’une des plus accomplis de sa génération, et c’est l’une des premières femmes à peindre des sujets historiques et religieux.
Envie de faire connaissance de plus près ? Viens lire la page wikipédia de la dame.
Élisabeth Vigée Le Brun (1745 – 1842 )
Allez hop ça suffit l’Italie, on passe en France, soyons chauvins un petit coup, ça nous changera tiens…
Elisabeth a pour premier professeur son père, et par la suite fréquente des artistes célèbres de l’époque, qui lui donnent conseils et recommandations sans qu’elle passe par une formation rigoureuse (pas les bobonnes aux Beaux-Arts on a dit!). Elle travaille son don, elle aura toujours envie d’apprendre, et commence à se tailler une petite réputation. Pour échapper à sa famille elle épouse un Monsieur Le Brun, de pas très bonne réputation, lui, qui la laisse peindre et gère ses affaires, plutôt à son propre avantage (du style faire payer le tableau 12.000 francs et en verser 6 à Madame. Oui oui, 12.000 et 6, je n’ai pas fait de faute de frappe).
En 1778 elle devient peintre officielle de la Reine Marie-Antoinette. C’est chié tout de même hein ? Elle traverse une période de grand succès, son salon est à la mode, on s’arrache les commandes, ses toiles sont achetées par le Roi, offertes aux ambassadeurs, aux membres de la Cour, etc. En 1783 elle est la première femme admise à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture, ce qui ne déclenche pas l’enthousiasme de ses petits camarades ( « Rhalala une femme la hooooonte, nan mais sérieux, pourquoi pas des singes tant qu’on y est???? »)(Bon là c’est moi qui interprète mais vous voyez l’idée). Et encore c’est uniquement parce que la Reine a insisté auprès de son mari Louis XVI pour que ce privilège soit accordée à sa portraitiste.
En 1789 patatras, Révolution Française, et j’aime autant vous dire que la protection royale, ben c’est pas bien compatible avec garder son cou en un seul morceau. Elisabeth est obligée de s’exiler rapido. Comme les biens des émigrés sont saisis, son mari reste en France et demande le divorce pour sauvegarder leur argent. Pendant 12 ans, elle voyage partout en Europe, va jusqu’en Russie peindre des archiduchesses, et remplit partout son carnet de commandes. J’ai lu ses « Souvenirs », et je peux vous garantir que ça n’a pas été de tout repos.
Quand elle va rentrer enfin en France, elle aura du mal à se réadapter, y compris à ses nouveaux commanditaires. A Caroline Murat, une des sœurs de Napoléon devenue reine de Naples, qui lui faisait la misère pendant une séance de pose, elle va même sortir froidement : « J’ai peint de véritables princesses qui ne m’ont jamais tourmentée et ne m’ont pas fait attendre ». Vlan, dans les dents.
Au total elle peindra 900 tableaux, dont 2/3 de portrait sur toute sa carrière. Si Élisabeth Vigée Le Brun a été très célèbre de son vivant, son œuvre sera quasi oubliée jusqu’au XXe siècle, et c’est très récemment en 2015 qu’on a pu voir la première grande rétrospective française de ses œuvres au Grand Palais (et c’était trop cool cette expo!).
Si tu veux en savoir plus, c’est par là sur wikipédia.
Berthe Morisot (1841-1895)
Quand les sœurs Morisot sont petites, Maman a l’idée de leur payer des cours de dessin pour surprendre Papa, amateur d’art. J’aime autant vous dire qu’il a dû être sacrément surpris, c’est sûr : tout le monde n’a pas une fille qui va devenir peintre, pas en amatrice du dimanche, une vraie, et qui finira comme la première femme du scandaleux mouvement impressionniste. SURPRIIIIISE PAPAAAAAA !!!!
Berthe attrape vite l’ambition de faire de la peinture son métier. Drôle d’idée, n’est-ce pas, surtout à une époque qui n’admet pas du tout qu’une femme ne soit pas une épouse ou une prostituée. Le mépris pour les femmes-peintres atteint des sommets, Manet écrit même à Fantin-Latour : « Je suis de votre avis, les demoiselles Morisot sont charmantes, c’est fâcheux qu’elles ne soient pas des hommes. Cependant, elles pourraient, comme femmes, servir la cause de la peinture en épousant chacune un académicien et en mettant la discorde dans le camp de ces gâteux ». Si ça c’est pas reconnaître le talent des dames, hein ?
Berthe s’en fout de l’opinion publique, elle se fait plein de relations chez les peintres, Corot, Degas, Manet (malgré cette vilaine lettre, il sera un ami et un partenaire de travail précieux, et elle épousera son frère), Renoir, Pissaro… Au début on la laisse tranquille, elle fait des tableaux qui ne dérangent pas la critique, ça passe. Elle s’acharne, elle travaille, elle affine son style, elle va très loin, ses collègues sont admiratifs. Elle sera la seule femme dans la première expo des « impressionistes ». Il faut imaginer le délire à l’époque, ça fait scandale, la presse se déchaîne, on les traite d’aliénés, etc.
Elle vend des toiles à Drouot, ce qui cause un encore un autre scandale : Renoir raconte qu’un détracteur qualifie Berthe de prostituée, Pissarro lui envoie son poing dans la figure, ce qui déclenche une bagarre générale, la police doit être appelée en renfort… Y a pas à dire, on savait se marrer dans le monde de l’art à l’époque !
Elle peindra toute sa vie ou presque, comme une nécessité vitale, avec des hauts et des bas mais toujours un regard merveilleux. Dès 1881, Berthe Morisot et Mary Cassatt apparaissent comme les chefs de file de la nouvelle tendance impressionniste aux yeux des critiques : pour la première fois dans toute l’histoire de l’art, des femmes sont considérées comme les maîtres incontestés d’un mouvement d’avant-garde.
L’ironie du sort ? Malgré sa riche production artistique, son certificat de décès sera affublé de la mention : « Sans profession. »…
Voilàààààà !
On avait parlé de 10 femmes peintres, mais 5 ça fait déjà un gros pavé. Alors du coup je continuerai dans un autre article avec des femmes plus proches de nous en terme de temps, et je suis sûre que vous en connaissez en fait !
N’hésitez pas à me dire dans les commentaires si ça vous a intéressé, cet article et des femmes peintres, et à me dire aussi le contraire. Moi j’adore, je pourrais parler des heures, mais c’est peut-être pas votre cas ? Figurez-vous que ça m’a pris du temps à écrire donc si tout le monde s’en fout, j’aime autant le savoir rapidement! 😀
Cordialement bisous.
Dis donc il était ouvert d’esprit le papounet de ta première histoire ! Sa fille dégueulasse un mur en barbouillant son amant et lui pas de problème on va en rajouter une couche !
Sinon c’était cool comme article, je veux bien une suite et au passage n’oublie pas Blanche Hoschedé (la belle fille de Monet) j’adore sa peinture (bon ok ça ressemble beaucoup au style de beau papa mais quand même ?)
Voilà, bisous et merci ?
Haha, j’avais pas pensé à ça mais c’est vrai que dans le genre famille farfelue… L’histoire ne dit pas comment Madame Mère a pris les choses en voyant son mari et sa fille tartiner les murs :p
Quant à Blanche Hoschedé, jamais entendu parler, tu te rends compte ?! Je vais aller fouiller de ce côté-là, merci pour la recommandation !
J’aurais pu citer 9 femmes compositrices (de musique savante) plus une ou deux dont je n’ai plus le nom en tête. Mais la musique savante tout le monde s’en fou.
Je ne pourrais pas citer 9 femmes compositrices, ni même 2 ou 3 en fait. C’est quoi la musique savante ?
Une musique très élaborée qui joue sur tous les paramètres , que le commun des mortels ne peut écrire et ne tient pas à écouter parce qu’il faut justement se concentrer et écouter avec réflexion.
Ps: cette musique est vraiment belle, mais comme les humains mystérieux, il faut chercher au delà de la surface… (
Je suis intriguée. Je ne sais pas si je serai capable de me concentrer et d’écouter avec réflexion, mais je vais essayer. Si tu as des recommandations, n’hésite pas à nous les partager.
allegro sostenuto lachenmann, Orion1 Karia Kaariaho, Ligeti, Kammer Concert (Kubrick aimait Ligeti: 2001… , Eyes wide shut), Germaine Tailleferre ballade pour piano et orchestre… Attention ces musiques sont d’époques différentes. Pour terminer passons au 12eme: hildegard von bingen chants de l’extase. Quelques compositeurs de musique savante en bref.
…Foutchouchebouguignouchouchiche!
Saariaho
Merci et bravo pour cet article aussi riche que drôle, au top !
Merci Nathalie, ce genre de petit commentaire d’appréciation me fait toujours plaisir !
Bonjour Simone, c’est passionnant! il est bien évident qu’un article comme celui-ci c’est une somme de travail. Je ne connaissais que Vigée le Brun et Morisot. Ce travail de restauration et de transmission de la mémoire est essentiel. Bravo et merci.
Merci beaucoup pour ce message, Brigitte, c’est très encourageant pour moi !