Salut les pioupioutes et pioupious,
La grande affaire qui secoue actuellement Twitter et le monde militant c’est le scandale de la « ligue du Lol ».
Pour faire court, il s’agit d’un groupe Facebook qui rassemblait une trentaine de journalistes, communicants, blogueurs, et qui a harcelé de nombreux internautes francophones. Je ne vais pas vous le refaire en détail, je vous invite à lire le « résumé » de l’affaire sur le site du Monde. Pour ceux qui penseraient que tout ça n’était pas si grave et date un peu, je vous invite surtout à aller lire cet article sur Numerama qui regroupe des témoignages assez frappant des personnes harcelées par ce groupe, voire directement la parole des personnes concernées, en grande majorité des femmes : Florence Porcel, Daria Marx, ou encore Capucine Piot.
Je vais être honnête, je suis effarée quand je lis ce genre de choses. Je ne comprends pas. Intellectuellement, je ne comprends pas. Comment est-ce qu’on peut écrire des menaces de mort ou de viol quotidiennes en expliquant que c’est « pour rire » ? Raconter à une jeune femme avec qui on a eu une relation sexuelle qu’on a le sida, juste pour la faire flipper ? Appeler une personne en galère professionnelle pour lui faire croire qu’on a une super offre d’un grand patron et mettre ensuite le canular en ligne, hahaha ? Taper sur la tronche en permanence, régulièrement, avec acharnement sur les mêmes personnes, et prétendre ensuite que c’est « juste de l’humour » et qu’on n’avait « pas réalisé » ?
Vraiment il y a un truc qui m’échappe. J’ai toujours été, je crois, dans la catégorie des gentils, voire « trop gentils ». J’étais une gamine puis une ado assez réservée, je n’aurais jamais osé faire un truc trop méchant. De toute façon, je faisais plutôt partie de la catégorie des petits timides du fond de la classe un peu à côté de la plaque, dont les gens « cools » se moquent, et mon pouvoir de nuisance était des plus limités. Adulte, je ne crois pas être devenue vindicative. Moqueuse oui, des autres et surtout de moi, mais jamais avec méchanceté (enfin j’espère).
Je ne dis pas que je n’ai jamais blessé. Personne n’étant parfait, il m’est sûrement arrivé d’être méchante, de heurter ou choquer. Je n’en ai pas de souvenir précis, personne n’a envie de se rappeler ses mauvais moments, mais je l’ai sûrement fait. Au début je me suis dit que probablement pas, je suis plutôt bonne pâte, mais en cherchant bien…
J’ai découvert Twitter au moment où j’ai commencé à développer mon militantisme féministe. Au début j’ai trouvé ça génial, un énorme terrain de jeu pour échanger, découvrir des idées, se disputer et débattre.
Et puis un jour j’ai posé un message excédé et sarcastique, parce qu’un sombre inconnu prétendait expliquer aux femmes qu’elles avaient mal pendant leurs règles à cause de leur mauvaise hygiène de vie, et qu’il leur suffirait de manger équilibré et de faire du sport pour éliminer les vilaines toxines. Je n’ai pas trop compris pourquoi (j’avais très peu d’abonnés à l’époque), tout Twitter s’est emballé avec des milliers de like, retweet, cris et hurlements. J’ai fini par couper les notifications, surtout quand j’ai commencé à recevoir de délicieux messages m’incitant à retourner dans ma cuisine (pas faim merci), demandant si j’avais mes règles pour être aussi chiante (non, et quand bien même?), me traitant de salope (olé), puis on est arrivé à « Va te faire violer », « Tu mérites de crever », « Si je te retrouve je te défonce ton anus de connasse », etc.
C’est violent. J’ai la chance de l’avoir vécu à ce moment-là plus comme une expérience sociologique en mode « Ha d’accord, c’est donc ça qu’on appelle une shitstorm sur Twitter… ». Le soufflé est retombé tout seul quand j’ai arrêté de répondre. Je n’ose imaginer l’impact que ça peut avoir quand tu te ramasses ça tous les jours, toute le temps, pendant des années, dans la figure.
Depuis j’ai réfléchi aussi au type dont j’avais reposté le message. Son argumentaire était stupide, n’avait aucun rapport avec l’article scientifique sur lequel il prétendait s’appuyer, et c’était même dangereux, car minimiser les douleurs liées aux règles peut retarder ou empêcher le diagnostic de sérieux problèmes. Oui, il racontait n’importe quoi. Ça ne méritait pas pour autant que tout Twitter s’énerve à ce point sur moi et sur lui aussi, car je pense qu’il a dû se ramasser aussi sa part d’insultes à ce moment-là.
Tout ça m’a amené à réfléchir à beaucoup de choses, dans la façon dont je parle et essaie de convaincre les personnes autour de moi du bien-fondé de ma pensée féministe. J’ai entendu un jour Lauren Bastide dire qu’elle s’inspirait d’un conseil donné par Caroline de Haas : ne pas dire du mal des autres femmes, même si on n’est pas d’accord et qu’on en meurt d’envie, car il y a toujours beaucoup plus de gens qui vont leur tomber sur le coin de la figure que pour un homme. Les femmes qui prennent la parole dans l’espace public ou même privé se font beaucoup plus dénigrer, ridiculiser, minimiser, pas prendre au sérieux, qu’un homme qui tiendrait les mêmes propos.
Alors je me pose des questions. J’essaie de suivre cet avis. Il y a des femmes politiques, journalistes, militantes, qui ont fait ou dit récemment des choses qui m’énervaient particulièrement. Ça m’a vraiment démangée de reposter leur propos en poussant des hurlements indignés et de me joindre à la meute des excédés à juste titre. Je me suis retenue à grand peine.
Et puis j’ai décidé qu’il n’y avait pas de raison de le faire seulement pour les femmes. Certaines personnes militantes se font un objectif de dénoncer les propos inacceptables ou offensants, toujours, pour ne rien laisser passer, et je pense que c’est important. Moi je n’ai plus envie de le faire. Parce que j’ai l’impression, à chaque fois que je copie les paroles odieuses en question pour les dénoncer, de leur donner en fait de la visibilité et de contribuer à leur propagation.
J’ai lu sur Instagram ces mots de Maureen Wingrowe dont je vous ai déjà parlé, dont j’admire le talent et l’engagement :
Oui ça peut paraître naïf, on ne vit pas au monde des petits poneys, et il y aura encore des choses à dénoncer, des actes ou des paroles inacceptables devant lesquels il faudra s’indigner. Ça ne marchera pas tous les jours.
Mais je vais au maximum garder en tête que je ne veux pas insulter des personnes, ni les attaquer avec virulence, et encore moins propager leur discours haineux pour le combattre. Ça rejoint un peu ce que je disais en début d’année : je veux être une pourvoyeuse de bonnes nouvelles.
Ça ne va pas toujours être simple, hein. Mais on va essayer de s’y tenir, parce que vous comme moi, on mérite mieux que ça.
Cordialement bisous,
Votre Simone qui ronge son frein pour ne pas critiquer la… le… ce sombre co… non rien… non non j’ai rien dit… * gnnna!!! *
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