Je m’aime moi non plus

Hello mes petites cailles,

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L’autre jour, je suis allée à une soirée bal masqué vénitien. J’ai sorti du placard un très beau masque que je m’étais acheté, une folie, lors d’un voyage à Venise, fabriqué à la main par une artiste qui fournit le bal des Doges. J’étais très contente de moi, de ma robe de bal, de mon masque, j’ai passé des heures à coudre et à tout préparer.

Le lendemain, je suis allée regarder les photos officielles prises sur le vif et… Et j’ai eu beau me dire que c’était idiot de ma part, je me suis trouvée vilaine sur toutes les photos. Ma robe était moins bien que celle des autres. Ma coiffure trop plate et du coup mon visage trop rond. Mon menton, horreur, ressortait à peine de mon cou sur celle-ci. Là on ne voyait que mes gros bras pas assez musclés. J’avais l’air ici d’un pachyderme à côté de ma voisine beaucoup plus fine. J’ai eu beau combattre ce sentiment hélas familier, clairement, je ne m’aimais pas. Pas du tout.

Pourtant, dans la voiture en rentrant le dimanche, on a eu une grande discussion avec 2 copines sur la perception erronée qu’on a de nous-mêmes, les tailles complétement idiotes des vêtements en France, le fait que la plupart des femmes portent des soutifs trop petits qui leur font mal, les normes de beauté débiles qu’on nous inculque et qui sont douloureuses (à quel moment on a pensé que survaloriser les 10cm de talon aiguille qui te flinguent les pieds était une brillante idée? D’où « il faut souffrir pour être belle » ?).

L’une d’elle disait son agacement parce que même à un moment où elle était toute mince, elle n’a jamais pu rentrer ses épaules dans un beau manteau en 44 chez Naf Naf, et que les marques de fringues ne prennent pas en compte les filles grandes et fortes. L’autre amie parlait de se mettre à la couture : elle est admirablement proportionnée d’après moi, le problème c’est que si ses fesses et ses cuisses rentrent dans un pantalon, il baille systématiquement à la taille qu’elle a fine. Son corps n’est pas adapté aux marques grand public, merci madame au revoir.

J’avais envie de me plaindre aussi, alors que je suis la plus mince de nous trois et celle qui en a le moins le droit. J’ai quand même un peu chouiné, zut quoi. Et je me disais, mais à quel moment on en est arrivé à ce délire où quoi que je fasse, quoi que je porte, je ne me trouve jamais « assez bien » ? Pourquoi je me compare toujours avec envie aux filles plus minces sur les photos ? Je rentre dans un 42 pour 1m70, je suis statistiquement à la moyenne de poids des Françaises, qui est la plus faible en Europe. On m’a déjà dit que j’étais jolie, que j’avais de l’allure, que j’étais élégante, et même parfois canon, de la part de proches ou d’inconnus qui n’avaient pas de raison de me flatter, objectivement je sais que je suis loin d’être laide et… et je ne m’aime pas du tout.

Je connais les mécanismes de dévalorisation permanents du corps des femmes, pour nous vendre des tonnes de crèmes, maquillage, régime, vêtements. Allez donc lire à ce sujet « Beauté fatale » de Mona Chollet, c’est édifiant de réaliser à quel point nous sommes toutes conditionnées à nous détester. Quitte à faire ajoutez aussi « Sorcière, la puissance invaincue des femmes » de la même autrice, où j’ai été terrifiée par cette phrase : on impose aux femmes un objectif impossible à atteindre, celui de rester toute leur vie « des jeunes filles embaumées ».

J’ai beau savoir, intellectuellement, que tout ça est inepte, je n’arrive pas à me détacher de ces injonctions de beauté et de minceur, et ça me met profondément en colère.

Toute ma vie j’ai entendu ma mère être malheureuse de son poids, quel qu’il soit (je n’ai jamais pu fermer sa robe de mariée que j’ai essayé un jour pour rigoler, et je ne suis pas beaucoup plus grande : elle était plus mince que moi au même âge et se trouvait déjà trop grosse). J’ai toujours entendu que j’étais très mignonne, mais ne reprends peut-être pas trop de fromage et avec deux ou trois kilos en moins tu serais parfaite. Ça partait d’une bonne intention pour que je ne souffre pas de mon poids et des commentaires des autres, sauf que du coup c’est devenu une obsession comme chez presque toutes les femmes. A l’adolescence je me suis persuadée que si j’allais de bide en bide avec les garçons, c’était parce qu’ils préféraient mes copines plus minces et mieux foutues que moi, et que la clé était donc de perdre du poids. J’ai passé des années à me dire que je serai plus séduisante et plus épanouie si seulement je parvenais à me prendre en main et à perdre ces maudits 3kg en trop.

A un moment, j’ai fait plein de sport et surveillé mon alimentation comme pas possible. Je suis tombée à 62kg, rien que du muscle, je rentrais dans le fameux 38 de mes rêves. Je me suis acheté un fourreau rouge dans lequel j’étais gaulée comme une Ferrari, surtout avec mes 10cm de Louboutin. C’est sûr, j’étais canon. Et ensuite devinez quoi ? Ça ne m’a pas du tout apporté les hordes de soupirants et les succès dans ma vie que j’avais attendus si longtemps comme conséquence logique des 3kg en moins. Ô stupeur, la question de l’épanouissement n’était pas là du tout ??? La déception a été plus qu’amère. J’ai vite arrêté de m’auto-martyriser à coup de régime et de sport intensif, et j’ai repris mes kilos avec un petit supplément.

Tout ceci m’épuise. Avant je me battais avec moi-même pour être plus mince, ça a duré des années. Maintenant je me bats avec moi-même pour ne pas surtout pas céder aux injonctions de la société sur mon corps. J’ai lu des livres, des études de sociologie, écouté des podcasts. Je suis totalement et parfaitement consciente du côté aberrant et aliénant de cette pression imposée par la société, je sais que je serai bien plus heureuse si je ne m’en préoccupais pas du tout… et je n’y arrive pas.

On ne déconstruit pas une vie de conditionnement à la minceur en quelques mois. On a beau savoir quels sont les mécanismes à l’œuvre, ça n’empêche pas le ressenti de la déception à n’être pas plus belle ou plus fine.

A vous je peux le confier, honteusement : après la soirée vénitienne, j’ai failli remettre en route une appli pour compter les calories, après avoir lutté 2h en me disant que non, ce serait mal, puis que zut je faisais bien ce que je voulais. J’ai renoncé uniquement parce que je ne retrouvais plus mes identifiants et je l’ai virée, en me sentant coupable d’avoir voulu céder aux sirènes du régime-qui-rend-belle-et-heureuse. Je ne veux plus comptabiliser à la calorie près tout ce que je mange et bois.

Je pourrais en pleurer de rage quand je pense à tout le temps et l’énergie que j’ai consacrés (et consacre encore) à me préoccuper de mon poids et mon apparence, alors même que je sais être dans la catégorie des minces et jolies. Je n’ose même pas imaginer ce que ça représente comme charge mentale pour toutes celles qui ne sont pas comme moi dans la norme, les trop grosses, trop maigres, trop petites, trop grandes, trop poilues, trop communes, trop d’acné, pas assez musclées, pas assez belles, des marques sur la peau ou un handicap visible.

J’ai vraiment des envies de violence quand je vois passer des publicités « Comme j’aime » à la télé ou les couvertures de magazine en juin qui vantent le « beach body parfait ». Je déteste le sacro-saint concept d’IMC, utilisé comme référence partout alors qu’il ne prend même pas en compte la masse musculaire ni la localisation des graisses. J’ai envie de secouer les gens en hurlant « MAIS QU’EST-CE QUI VA PAS BIEN DANS VOS TÊTES???? » quand je lis que Weight Watchers lance une appli « santé » avec des conseils régime pour les enfants de 8 à 17 ans.

Relisez bien ça.

Les. Enfants. De. 8. A. 17. Ans. En train de faire un putain de régime.

Est-ce qu’il y a un moment où on a le droit de chercher sur internet « Comment faire un cocktail Molotov » et de tout cramer, ou bien, ça se passe comment là ?

Je hais toute cette culture voire ce culte du régime, responsable du regard déçu voire dégoûté que trop de personnes portent sur elle-même, quand elles ne sombrent pas dans les troubles parfois gravissimes du comportement alimentaire.

Pour moi c’est foutu. Je ne m’en débarrasserai pas si facilement, alors même qu’on baigne dedans toute la journée. Mais j’aimerais, vraiment, qu’à partir de maintenant on en prenne conscience et qu’on fasse un effort. Oui, ce sera un effort parce qu’on n’est pas éduqué pour ça, mais on peut essayer de changer pour les suivants.

De ne plus imposer aux enfants ces commentaires idiots sur leur poids. De leur vanter, particulièrement chez les petites filles, leur audace, leur courage, leur créativité, leur joie de vivre, et pas juste leur joliesse, leur finesse. De ne plus faire de réflexion du style « Haha, 3 minutes dans l’assiette et 10 ans dans les fesses » ou l’innocent mais insistant « Tu es sûre de vouloir un dessert, mmm ? ».

De faire des compliments à toutes les personnes, quelle que soit leur morphologie, d’apprendre à aimer tous les corps et pas juste ceux des mannequins qui représentent moins de 1% de la population. Croyez-moi, les compliments, on est beaucoup à en avoir besoin pour se revaloriser, quand toute la société dans laquelle on vit passe son temps à vous susurrer qu’on ne sera jamais assez belle et mince.

Arrêtons de glorifier la minceur comme un but absolu à atteindre. Comme l’a dit Kelly Jean Drinkwater, on perd un temps et une énergie invraisemblable à vouloir « être la photo après du tandem avant/après – avant de commencer à vivre. » Passer sa vie à vouloir maigrir devrait être inacceptable.

Soyons optimistes et utopistes, partons du principe que demain la minceur ne sera plus le critère de beauté absolu. Et commençons toutes et tous à travailler à cette transformation, parce que la route va être longue et qu’il ne sera jamais trop tôt pour démarrer.

Cordialement, bisous,

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Votre Simone,
qui ne remettra pas de piles dans sa balance

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PS : petit rappel que si tu souhaites soutenir mon travail, tu peux verser de la menue monnaie sur ma page Tipeee et m’aider ainsi à conquérir le monde !

Allez creuser :

Tout ce qu’on oublie de dire sur les régimes, par Florence Fortuné dans la newsletter Les Petites Glos

Ma critique du livre « Gros n’est pas un gros mot, chronique d’une discrimination ordinaire » de Daria Marx et Eva Perez-Bello du collectif Gras Politique

Le Ted Talk de Kelly Jean Drinkwater « Assez avec la peur du gros » où elle parle plus que bien de  » cette crainte qui nourrit l’industrie des régimes alimentaires. Ce qui empêche tellement d’entre nous d’être à l’aise avec nos propres corps, en voulant être la photo après du tandem avant/après – avant de commencer à vivre. »

Kurbo, l’application régime de Weight Watchers pour enfants, est une honte sur le site NeonMag

Le livre Beauté fatale, Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, de Mona Chollet

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